Mutineries. À bord des vaisseaux insurgés, 1789-1802

Niklas Frykman. Mutineries. À bord des vaisseaux insurgés, 1789-1802. Traduit de l’anglais par Philippe Mortimer, Éditions Libertalia, 2022.

Les camarades et ami·e·s de Libertalia entretiennent un rapport particulier à la mer, aux marins et à la lutte des classes. Le choix du nom de leur maison d’édition devrait nous renseigner suffisamment à ce sujet : en effet, « Libertalia » avant d’être l’un des titres publiés par ladite maison[1], fut le nom attribué par son auteur, Daniel Defoe, à une « utopie pirate » installée à la fin du XVIIe siècle au nord de Madagascar. « Le mythe de Libertalia, utopie pirate en actes, est resté une source inépuisable d’inspiration parmi la gauche libertaire », écrivait le regretté David Graeber en préface à ses Pirates des Lumières, ajoutant : « La possibilité de faire paraître ce livre chez un éditeur nommé Libertalia était trop tentante pour que j’y résiste[2]. » Et non seulement il y avait le nom, mais encore le fonds : en effet, Libertalia avait déjà publié, avant Graeber, les sommes de Marcus Rediker, Pirates de tous les pays et Les Forçats de la mer[3]. Ce dernier titre nous rapproche de notre lecture d’aujourd’hui, puisqu’il s’intéresse aux marins en général, et pas seulement aux pirates. Niklas Frykman s’inscrit complètement dans la continuité de son « ami camarade et mentor, Marcus Rediker[4] », en ce qu’il considère, comme lui, que les marins des XVIIe et XVIIIe siècles, soit la période de mondialisation du capitalisme autrement nommée avènement de la modernité, « étaient de simples prolétaires partant en mer, issus du premier groupe important de travailleurs ayant vendu leur force de travail aux capitalistes marchands[5] ». Ces marins furent « au centre des conflits de classe qui ont émergé entre le capital et le travail à partir du XVIIIe siècle […] Ils ont inventé la grève, qui deviendra l’une des armes les plus importantes du prolétariat mondial. Les marins ont également relié diverses catégories de producteurs – esclaves, domestiques, artisans et autres travailleurs – et leurs luttes à travers l’espace et le temps. Même le drapeau rouge du socialisme et du communisme était au départ un symbole maritime, utilisé par les pirates et la flotte dans les batailles pour signifier qu’aucun quartier ne serait fait ou accepté au cours de l’assaut, que ce serait un combat à mort[6]. » Un irréductible antagonisme de classes, donc, qui se donne à voir dans l’une des ses formes les plus pures au cours des mutineries qui eurent lieu « à bord des vaisseaux insurgés » entre 1789 et 1802. J’avoue que jusqu’ici, j’avais moi aussi une vision quelque peu « romantique » et « condescendante » des gens de mer de cette époque, les considérant « comme une version désuète, fascinante, exotique et excentrique de “l’Autre” » et, partant, « comme des acteurs historiques sans importance »[7]. J’avais tort. J’aurais pourtant dû me rendre compte que la naissance et l’expansion fulgurante du capitalisme marchand reposaient en très grande partie sur le « commerce triangulaire », soit l’exportation de marchandises depuis la métropole vers les côtes de l’Afrique où l’on raflait des esclaves, lesquels étaient déportés vers les « îles à sucre » où ils étaient débarqués, le sucre, le café et autres épices et denrées coloniales venant les remplacer dans les cales des navires de retour vers les ports « négriers » de l’Europe occidentale. Cette première mondialisation reposait donc sur les épaules des matelots, lesquels étaient exploités sans vergogne par les armateurs et les compagnies de commerce des Indes orientales et occidentales. Compagnies françaises, anglaises et hollandaises avant tout, sans oublier les espagnoles. Mais la dureté des conditions de travail à bord des navires marchands n’était rien, semble-t-il, à côté de celle qui régnait sur les navires de guerre, dont le nombre augmenta sans cesse au cours du XVIIIe siècle, en même temps que les échanges commerciaux entre les métropoles et leurs colonies, qu’il fallait protéger contre les puissances impérialistes rivales. Au début des années 1790, alors que la guerre reprenait entre la France en révolution et les forces d’Ancien Régime principalement représentées, sur mer, par la Royal Navy britannique, « les flottes européennes totalisaient ensemble 600 vaisseaux de ligne de bataille, presque autant de frégates et près de 2 000 corvettes, bricks, avisos et autres navires de moindre dimension. Tous ces navires embarquaient plus de 6 000 canons, soit dix fois la quantité de pièces d’artillerie alors en usage dans l’ensemble des armées de terre du continent, et approximativement 350 000 hommes d’équipage, équivalant à presque toute la main-d’œuvre maritime qualifiée des pays riverains de l’Atlantique nord[8]. » D’où un premier problème, celui du recrutement des marins. La plupart d’entre eux répugnaient à servir dans la marine de guerre car non seulement ils y étaient moins bien payés que dans la marine marchande, mais encore et surtout, les navires de guerre de l’époque s’apparentaient à des bagnes flottants pour les simples matelots (à quoi il fallait ajouter l’éventualité de mourir dans un combat naval). C’est pourquoi les Amirautés n’hésitaient pas à recourir à la force pour embarquer des matelots. Ainsi La Royal Navy avait-elle systématiquement recours, avec l’aval du Conseil privé du souverain britannique, à ce que l’on appelait des press gangs qui, en cas de besoin, « déferlaient […] sur les villes portuaires et les rades, enlevant sans aménité tous les marins sur lesquels ils pouvaient mettre la main pour les conduire sur les vaisseaux de Sa Majesté en manque de personnel qualifié » (p. 39). Frykman cite un témoin de l’époque, un officier de la marine suédoise en escale près de Douvres :

« Cela fonctionne ainsi. Quand un navire marchand jette l’ancre, on envoie un sloop transportant des hommes en armes, qui prennent tous les marins les plus utiles. […] Ces malchanceux sont aussitôt emmenés sur un vaisseau de guerre et, même s’ils sont restés longtemps éloignés de chez eux et de leurs proches, ils ne seront plus jamais autorisés à poser un pied sur la terre ferme. » (p. 39)

Cette pratique du recrutement forcé provoquait de nombreuses échauffourées, souvent extrêmement violentes et entraînant des morts d’hommes[9]. En fait, il y avait suffisamment de marins en temps de paix – principalement dans la marine marchande. Mais dès que la guerre éclatait, la demande en hommes doublait car, tout en assurant le fonctionnement des vaisseaux de guerre, à bord desquels pouvaient travailler, selon leur taille, jusqu’à plusieurs centaines d’hommes, il n’était pas question d’abandonner le commerce maritime qui était à l’origine de la puissance du Royaume-Uni.

Il ne faut pas chercher bien loin les causes de la difficulté du recrutement : il s’agissait véritablement d’un travail de « galérien » (même si les galères en tant que telles avaient disparu depuis un certain temps déjà). « Tout individu qui montait pour la première fois à bord d’un vaisseau de guerre était saisi d’un profond ébahissement. Quel que fût le cours de son existence auparavant – qu’il fût un philosophe[10] de la classe moyenne ou un marin expérimenté, un paysan sans terre ou un artisan au chômage –, il ne s’était encore jamais trouvé dans un environnement aussi artificiel et aussi peu familier. Ce n’était en effet que très rarement, au XVIIIe siècle, que des centaines d’hommes travaillaient ensemble en un espace clos. Il était encore plus rare de voir autant d’êtres humains coordonner leurs tâches pour faire marcher une seule machine, comme c’était le cas à bord d’un grand navire de combat. À l’époque, très peu de gens avaient fait l’expérience de la discipline du travail industriel. C’est à peine si la masse du peuple concevait que l’horloge puisse avoir un rapport avec les horaires de travail. Mais en rejoignant l’équipage d’un vaisseau de guerre, les nouvelles recrues se retrouvaient subitement plongées dans une société de masse microcosmique, où des centaines d’homme travaillaient sans relâche, sous la surveillance constante des officiers. […] Les hiérarchies étaient strictement définies et imposées avec brutalité. Le pouvoir formel se concentrait tout entier dans la personne du capitaine, dont l’autorité à bord ne connaissait pas de limites et était répercutée par le corps des officiers sur le reste de l’équipage, les matelots du pont inférieur. » (p. 56-57)

Sur ces vaisseaux, on embarquait beaucoup plus d’hommes qu’il n’aurait été nécessaire pour en assurer simplement la manœuvre : c’est qu’il fallait du monde pour servir les pièces d’artillerie pendant les batailles (lesquelles se terminaient la plupart du temps en immondes boucheries, des centaines d’hommes étant tués ou mutilés par les canons ennemis qui visaient au ras du pont, « dans le tas »). Que faire pour tenir tranquilles tous ces surnuméraires ? Eh bien, on s’organisait pour les faire bosser dur, et tout le temps : « La journée de travail, sur un navire de guerre britannique, commençait à 4 heures du matin, lorsqu’une des deux équipes de quart recevait l’ordre de briquer le pont, l’une des activités les plus pénibles à bord.

“Ici les hommes souffrent d’être obligés de s’agenouiller sur le pont trempé, où a été répandu un sable graveleux. Pour accomplir cette tâche, ils doivent se mettre à genoux nus pour frotter le pont avec une pierre et ce sable, qui souvent les blesse cruellement.”

Ce travail se poursuivait pendant trois heures et demie, jusqu’au petit-déjeuner, après quoi l’autre équipe se mettait à briquer le pont à son tour. » (p. 60) Frykman cite le lieutenant Thomas Hodgskin qui expliquait que les capitaines cherchaient à occuper sans cesse leurs hommes, « tant ils craignaient que l’oisiveté puisse mener à la réflexion », laquelle aurait pu les conduire à « comparer leur situation à celle de leurs compatriotes ou à ce qu’ils avaient été avant », et les inciter « à se venger de l’oppression qu’ils subissaient » (p. 61).

Mais bien sûr, le travail seul n’aurait pas suffi à maintenir la discipline : « un “système universel de terreur” prévalait à bord » (p. 63-64). Les châtiments variaient d’une marine de guerre à l’autre, mais partageaient tous une férocité sans nom : « isolement cellulaire, travaux forcés, mise au pilori, bain forcé, marquage au fer rouge, langue arrachée, main coupée, immersion par-dessous la quille (supplice nommé “grande cale”), bouline[11], flagellation répétée sur chaque vaisseau de la flotte, pendaison, suspension jusqu’à la mort à un gibet pour l’exemple, noyade, décapitation, décimation, arquebusade et supplice de la roue… La plupart de ces punitions étaient rarement appliquées, mais, dans la marine britannique notamment, la pendaison et la flagellation répétée (pouvant atteindre jusqu’à 800 coups de chat-à-neuf-queues) étaient assez courantes […] » (p. 65).

David Graeber a résumé cette situation en soutenant que « la discipline moderne de l’usine est née dans les plantations et sur les navires. Plus tard, les premiers industriels adoptèrent ces méthodes consistant à transformer les êtres humains en machines, dans les fabriques de Birmingham et Manchester[12] ».

Malgré ces conditions effrayantes (ou à cause d’elles, peut-être), les marines de guerre connurent relativement peu de mutineries avant la période étudiée par Frykman (leur nombre a probablement été sous-estimé car certaines d’entre elles furent sauvagement réprimées sans pour autant être documentées – il en allait aussi de la réputation des officiers auprès de l’Amirauté : une mutinerie à bord du vaisseau dont ils avaient la responsabilité n’était jamais un bon point pour eux).La manière la plus courante de résister à cette terreur était d’y échapper en désertant – ainsi que le firent, « selon les calculs de l’amiral Nelson, quelques 42 000 matelots […] entre 1793 et 1802 » (p. 78), et ce alors que le total des effectifs de la marine du Royaume-Uni s’élevait à 120 000 hommes. Et les chiffres étaient plus élevés encore dans les marines française et hollandaise, avant tout parce que le blocus continental britannique contraignait les navires à rester à quai, ce qui facilitait d’autant les désertions.

C’est probablement la Révolution française qui mit le feu aux poudres. Le 1er décembre 1789, Toulon, son port et son arsenal entraient en insurrection. Pierre-Victor Malouët, l’intendant de la Marine à l’arsenal, une sorte de super PDG du chantier naval, lequel, sous sa direction, avait été à la pointe, avec Brest et Rochefort, de l’effort d’investissement dans la marine de guerre qui avait porté la flotte française au même niveau que la Royal Navy, soit la superpuissance maritime de l’époque, avait déjà quitté ses fonctions pour devenir député à la Constituante. Mais la réduction des salaires des matelots et des ouvriers de l’arsenal qu’il avait mise en œuvre depuis une décennie, grâce à une politique de privatisation et de sous-traitance à des entrepreneurs privés (ça ne vous rappelle rien ?), combinée à la quasi-faillite de l’État fin 1788, aggravée par un hiver 1788-1789 exceptionnellement rigoureux, amenèrent une situation explosive dans la rade de Toulon (où la moitié de la population adulte masculine travaillait à l’arsenal). Déjà en mars 1789 se produisit une « émeute frumentaire » (afin d’obtenir du blé – et donc du pain). Dès le mois d’août se formait une garde nationale arborant la cocarde tricolore et intégrant des ouvriers et des artisans. « La classe ouvrière toulonnaise, jusque-là plutôt docile, s’affirmait comme une formidable force révolutionnaire. Après avoir dominé la vie politique de la ville pendant près de trois siècles, le corps des officiers de marine se retrouvait brusquement en plein territoire hostile. » (p. 87-88) La journée du 1er décembre fut le résultat d’une tentative du commandant du port militaire d’opposer les artilleurs de marine qu’il commandait à la garde nationale. Mais non seulement les « canonniers-matelots », fraternisant avec les gardes nationaux, refusèrent de lui obéir, mais ils l’arrêtèrent et avec lui plusieurs autres officiers de haut rang. Avec cette mutinerie, « c’était la masse des sans-grade de la marine française, la deuxième du monde par sa puissance de feu et ses effectifs, qui rejoignait ainsi le camp de la Révolution » (p. 88).

Un vent de panique souffla parmi les officiers de marine de tous les ports français, mais aussi (et surtout) parmi les planteurs esclavagistes des colonies. En effet, l’Empire colonial français dépendait entièrement de la docilité des matelots de la « Royale » qui devaient protéger leur lucratif commerce triangulaire… Et Pierre-Victor Malouët était mieux placé que quiconque pour le savoir : car il était lui aussi un de ces négriers, planteur de canne à sucre à Saint-Domingue, la « perle des Antilles », la plus riche des colonies de l’époque. Quand la nouvelle de l’insurrection toulonnaise arriva à l’Assemblée constituante, voici ce qu’il déclara devant ses collègues députés : « Messieurs, après les détails que vous venez d’entendre, nous sommes tous fondés à nous demander ce qu’est devenu le gouvernement, l’autorité des lois, et sur quels fondements repose la liberté publique, et qui commande enfin dans cet empire. » (p. 90, c’est moi qui souligne). On voit bien ce qui était en jeu : dans le discours du négrier, il s’agissait du commandement général, du gouvernement en somme, capable de garantir le bon fonctionnement des affaires en protégeant la propriété, y compris celle des esclaves. Mais lors de chaque mutinerie sur un ou plusieurs navires, c’était le même principe qui était en jeu, comme il l’était lors des révoltes d’esclaves dans les plantations, comme il le fut lors de la révolution en Haïti – et l’on comprend alors pourquoi , dans chacune de ces situations, les défenseurs de l’ordre établi se montrèrent aussi impitoyables lorsqu’ils parvenaient à prendre le dessus sur les insurgés – et même lorsqu’ils n’y parvenaient pas : voir comment les États français puis américain, et les banques des mêmes États, ont fait si chèrement payer son émancipation au peuple haïtien depuis plus de deux siècles[13] – ces gens- là n’oublient jamais rien, et ils ont la rancune tenace.

Tout un chapitre de Mutineries est consacré aux péripéties des matelots français pris entre les exigences du parti colonial, qui voulait les enrôler dans sa lutte contre les esclaves révoltés, et celles de la Révolution, qui se montra tout aussi dure envers eux que l’avait été l’Ancien Régime.

Pendant ce temps, se développait dans la Royal Navy un mouvement d’abord simplement revendicatif (de type « syndicaliste » avant la lettre) puis carrément politique, avant de tourner, après les répressions toujours aussi atroces des précédents mouvements, à une sorte d’action directe ultra-violente contre les officiers (cette dernière se terminant elle aussi par l’écrasement des mutins au moyen des mêmes méthodes terroristes qui avaient dès longtemps fait leurs preuves). Trois chapitres du livre sont consacrés à ces différentes phases, sur lesquelles je ne m’attarderai pas en détail : j’en dirais trop ou pas assez, mais forcément mal. Si vous vous intéressez à l’histoire des révoltes et de la lutte des classes, alors il faut absolument lire ce livre. Vous y apprendrez qu’au cours de l’année 1797, une énorme mutinerie eut lieu dans la Royal Navy : « Au total, plus de 40 000 hommes travaillant sur une centaine de navires tinrent tête à leurs officiers et refusèrent de participer à la guerre pendant presque deux mois. » (p. 245) Comme cela avait déjà été le cas dans la flotte française, ils réclamaient avant tout, outre des augmentations substantielles de salaires et de meilleures conditions de vie, l’assouplissement, sinon l’abolition du régime disciplinaire qui faisait des navires de véritables bagnes flottants. Pendant les deux mois du mouvement, ils s’organisèrent en « conseils » et arborèrent le drapeau rouge en signe de détermination.

On lira dans le livre les détails de la répression. Les chefs militaires et leurs commanditaires capitalistes avaient eu peur. Ils s’organisèrent afin que cela ne se reproduise jamais : « Afin de contenir toute contagion de la mutinerie, les autorités britanniques s’efforcèrent d’empêcher les anciens mutins en fuite de rejoindre la marine marchande, espérant éviter ainsi qu’ils transmettent leur expérience aux “colonies lointaines”. L’Amirauté suggéra avec insistance aux membres influents du négoce maritime national de faire paraître “immédiatement et publiquement une résolution stipulant l’interdiction d’employer un marin qui, après une certaine période, ait persisté dans son état d’insubordination”. Peu après, la puissante Union des marchands, propriétaires de navires et autres personnes ayant des intérêts dans la navigation – à laquelle appartenaient le Premier ministre William Pitt, le président de la Compagnie des Indes orientales Hugh Inglis, le gouverneur de la Banque d’Angleterre Thomas Raikes, l’ancien président de la Société des marchands des Antilles britanniques et de la Compagnie des docks de Londres Richard Neaves, ainsi que quarante-six autres influents personnages de haut rang – répondit à cet appel du pied en proclamant publiquement : “Dorénavant, aucun marin ne pouvant présenter un certificat provenant de son ancien commandant, attestant d’une conduite obéissante et disciplinée, ne pourra être employé au service des signataires.” En outre, ils décidèrent de “créer un fonds, basé sur une souscription volontaire […] et ayant pour but de débusquer et de traduire en justice les traîtres tapis dans l’ombre qui ont fomenté et attisé la mutinerie […] » (p. 293-294)

Une fois de plus, je n’ai donné qu’un faible aperçu de ce livre, et accordé peut-être trop de place au point de vue de l’ennemi de classe… C’est parce qu’il donne, par contraste, une bonne idée, me semble-t-il, de la puissance de ces mutineries et de leur enjeu, ni plus ni moins que le renversement des exploiteurs. Si vous voulez en savoir plus sur l’organisation des mutins, sur leurs revendications, sur leur usage du drapeau rouge, alors lisez Nyklas Frykman, cela vaut le détour.

franz himmelbauer (pour Antiopées), le 4 décembre 2022

[1] Daniel Defoe, Libertalia, une utopie pirate, traduit de l’anglais par Guillaume Villeneuve, éd. Libertalia 2012 [Phébus 2002]. Du même auteur, Libertalia a publié en 2015 Femmes pirates. Anne Bonny & Mary Read, dans une traduction de Philippe Mortimer.

[2] David Graeber, Les Pirates des Lumières ou la Véritable Histoire de Libertalia, traduit de l’anglais par Philippe Mortimer, éd. Libertalia 2019. Il convient de noter ici que cette édition est l’originale – le livre a d’abord été publié en français (ce qui, au passage, constitue en soi un sacré compliment à la maison d’édition). Par ailleurs, ce fut le dernier essai publié de son vivant par l’anthropologue anarchiste David Graeber, décédé en septembre 2020, et qui n’a pas fini de nous manquer.

[3] Marcus Rediker, Pirates de tous les pays. L’âge d’or de la piraterie atlantique (1716-1726), traduit de l’anglais par Fred Alpi, éd. Libertalia 2008 et Les Forçats de la mer. Marins, marchands et pirates dans le monde anglo-américain (1700-1750), mêmes traducteur et éditeur, 2010.

[4] Niklas Frykman, Mutineries, « Remerciements », p. 8

[5] Rediker, Les Forçats de la mer, préface à l’édition française, p. 7.

[6] Ibid, p. 8.

[7] Ibid, p. 7.

[8] Niklas Frykman, Mutineries, p. 37. (Les citations suivantes de Frykman seront indiquées dans le texte par le n° de page entre parenthèses.)

[9] Frykman parle de 600 échauffourées entre 1738 et 1805, dont 10% causèrent au moins un décès.

[10] En français dans le texte original.

[11] « Châtiment consistant à faire passer le condamné entre deux rangées de matelots qui le fouettaient avec des fouets faits de fin cordage goudronné et appelés “garcettes” (NdT). »

[12] David Graeber, Les Pirates des Lumières, op. cit., p. 18.

[13] Voir par exemple Haïti-France. Les chaînes de la dette. Le rapport Mackau (1825), Édition intégrale, annotée et commentée par Marcel Dorigny, Jean-Marie Théodat, Gusti-Klara Gaillard et Jean-Claude Bruffaerts, éd. Maisonnneuve&Larose et Hémisphères, 2021.

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