Alain Gresh & Hélène Aldeguer
Un chant d’amour. Israël-Palestine, une histoire française. Éditions La Découverte, Paris 2017.
« La sécurité d’Israël est pour nous un principe intangible, de même que la légitimité de l’État palestinien. Nous devrons rechercher les conditions d’une paix juste et durable, qui permette aux deux États de coexister en sécurité. » Ceci est extrait du programme du candidat à la présidence de la république Emmanuel Macron, rubrique « International[1] ». On voit que dans ce domaine comme ailleurs, il n’innovait pas vraiment. Maintenant qu’il est élu, on peut donc prédire sans trop se hasarder qu’il va poursuivre la politique de son prédécesseur François Hollande, auquel nous devons le titre de cet essai en bande dessinée : Un chant d’amour, expression qui détonne dans la bouche d’un dirigeant que nous avons connu moins lyrique – plutôt prosaïque, voire « normal ». C’est pourtant bien lui qui déclara, le 17 novembre 2013 à Jérusalem, portant un toast au terme d’un dîner chez Benyamin Netanyaou, Premier ministre d’Israël : « Pour l’amitié entre Benyamin et moi-même, pour Israël et pour la France, même en chantant aussi mal que je chante [il venait de refuser de pousser la chansonnette après qu’une artiste locale avait interprété la chanson de Mike Brant « Laisse moi t‘aimer »] – car je chante mal –, j’aurais toujours trouvé un chant d’amour – d’amour pour Israël et ses dirigeants. »
Ce livre s’intéresse donc à l’« histoire française » qui a conduit à cette scène touchante, c’est-à-dire à un demi-siècle de relations franco-israéliennes, soit depuis la guerre israélo-arabe de juin 1967. Les textes sont d’Alain Gresh, qui a suivi le sujet pour Le Monde diplomatique pendant une trentaine d’années, et dont on peut aujourd’hui retrouver les analyses toujours acérées sur les sites Orient XXI[2] et Contre-attaque(s)[3]. Ils sont accompagnés par les dessins plutôt percutants et sans fioritures inutiles d’Hélène Aldeguer. Disons-le tout de suite : la principale qualité du livre, à nos yeux, est d’exposer clairement et précisément une histoire réputée complexe et difficile à comprendre. Pour autant, il ne prend pas ses lecteurs pour des béotiens et n’ennuiera pas les personnes déjà bien au fait du sujet. Précisons aussi que tous les dialogues et personnages représentés sont authentiques – il ne s’agit pas d’une réinterprétation sous forme de fiction. Par ailleurs, le titre ne ment pas quant au contenu de l’ouvrage : si vous cherchez un brûlot propalestinien ou, à l’inverse, une histoire édifiante d’Israël, il vous faudra trouver d’autres sources. Le propos, ici, est de retracer le plus sobrement possible les actes et paroles des dirigeants français vis-à-vis de l’État d’Israël. Rien de très spectaculaire, en somme. La palette des couleurs – noirs, rouges, bleus, sauf sur la première de couverture où apparaît aussi la bande verte du drapeau palestinien – concourt elle aussi à cette sobriété du récit. Sobriété ne signifie pas neutralité. La simple recension des dires et des faits est accablante pour l’État israélien, dont on voit bien se dessiner au fil des années la stratégie d’anéantissement de toute capacité politique palestinienne, mais elle ne flatte guère non plus les dirigeants français qui n’ont jamais vraiment pu, su ou voulu, selon les cas, imposer quoi que ce soit à leurs homologues israéliens. Il y eut bien sûr des désaccords, et même un certain froid lorsque De Gaulle haussa le ton contre ce « peuple sûr de lui et dominateur » mais, dans l’ensemble, jamais la France n’a représenté un obstacle sérieux au rouleau compresseur de la colonisation israélienne.
Rien de nouveau sous le soleil, nous dira-t-on. Certes. Reste que la lecture de ce livre est intéressante – en tout cas, elle m’a intéressé – à plusieurs titres. D’abord, comme pense-bête, ou guide-âne si vous préférez : cette BD remplace avantageusement un Que sais-je ? ou un article détaillé sur la question. Rien n’y est inventé et, de plus, le format généreux de l’objet a permis d’y inclure des cartes, également dessinées par Hélène Aldeguer, tout à fait éclairantes. Ensuite, comme source de réflexion sur ce que c’est que la realpolitik, et accessoirement sur les personnages qui croient la manipuler à leur guise. Enfin, comme une histoire de l’opinion (et de ses « faiseurs ») française sur Israël. J’ai particulièrement remarqué le cas de Jean-Paul Sartre qui, à l’instar de la plupart des intellectuels de l’époque, prend position pour Israël au moment de la guerre de 1967, saluant sa « volonté de paix » et son « sang-froid », ce qui lui vaudra, bien longtemps après, d’être fusillé symboliquement par Houria Bouteldja dans son livre Les Blancs, les juifs et nous. Cette dernière n’a pas relevé la réaction du même Jean-Paul Sartre face à l’attaque de Septembre noir contre la délégation israélienne aux Jeux olympiques de Munich en 1972 : « Les Palestiniens n’ont pas d’autre choix, faute de défenseurs, que le recours au terrorisme. L’acte de terreur commis à Munich se justifie à deux niveaux : d’abord parce que tous les athlètes israéliens aux JO étaient des soldats et ensuite parce qu’il s’agissait d’une action destinée à obtenir un échange de prisonniers. »
Ce livre nous donne encore à (re)découvrir bien d’autres péripéties de cette histoire dont nous ne sommes pas près de voir le bout, hélas. Il se lit assez vite, mais on le gardera à portée de main pour vérifier telle ou telle date, telle ou telle information, ce qui nous évitera de nous faire embobiner par les « informations » dont veulent bien nous gratifier les médias mainstream. À propos de ces derniers, et pour finir par où nous avons commencé, on dit (Aude Lancelin[4], pour ne pas la nommer) que le candidat d’« En Marche ! » aurait été « entièrement fabriqué par des médias entre les mains du capital » tel le groupe Altice-SFR, propriétaire – entre autres – de BFM TV, Libération, L’Express… Aude Lancelin, vénère depuis qu’elle a été virée de L’Obs pour cause de relations gauchisantes, a tendance à cracher dans la soupe : « Avec le groupe de Patrick Drahi[5], disait-elle ainsi en parlant de l’encore candidat, c’est carrément la love story à ciel ouvert, même si en période électorale les pudeurs de carmélite s’imposent. Ainsi le Directeur général de BFM TV est-il régulièrement obligé de se défendre de faire une “Télé Macron”, sans convaincre grand monde, tant les affinités électives sont en effet avérées entre le candidat à la présidence et l’entité Altice-SFR Presse. Lorsque Martin Bouygues et Patrick Drahi s’affronteront pour le rachat du groupe SFR, c’est Macron lui-même, alors secrétaire général de l’Élysée, qui jouera un rôle décisif en faveur de ce dernier. Et en retour, lorsque celui-ci décidera de se lancer dans la course à la présidentielle fin 2016, on ne tardera pas à voir rejoindre son équipe comme conseiller aux affaires économiques l’ancien banquier Bernard Mourad, hier encore directeur d’Altice Media Group, à savoir SFR Presse. » Tout cela n’a rien à voir avec Un chant d’amour, me direz-vous. Il est vrai qu’Alain Gresh et Hélène Aldeguer n’y parlent pas d’Emmanuel Macron. Cependant, comme nous le disions au début de cette note, on peut parier que sa politique ne dérogera guère à celle de ces prédécesseurs.
[1] https://en-marche.fr/emmanuel-macron/le-programme/international Consulté le 8 mai 2017.
[3] http://contre-attaques.org/
[4] « Emmanuel Macron, un putsch du CAC 40 », post du 20 avril 2017 sur Le feu à la plaine, le blog d’Aude Lancelin.
[5] Patrick Drahi est un homme d’affaires franco-israélien, président-fondateur du consortium luxembourgeois Altice, une multinationale spécialisée dans les télécoms et réseaux cablés cotée à la bourse d’Amsterdam.