Antisionisme, une histoire juive, Textes choisis par Béatrice Orès, Michèle Sibony et Sonia Fayman, Éditions Syllepse, octobre 2023
Recueil de textes de juifs antisionistes, Antisionisme, une histoire juive est sorti cette semaine aux excellentes éditions Syllepse. J’en avais reçu une version numérique, aux fins de recension, voici une bonne quinzaine de jours. Mais j’avais attendu qu’il soit disponible en librairie avant d’en parler. Là-dessus est arrivé ce que vous savez à Gaza et alentour, événements tragiques auxquels certain·e·s n’hésitent pas à rattacher l’agression meurtrière commise le 13 octobre dans un lycée d’Arras. « Une atmosphère de djihadisme, de passage à l’acte, est évidente depuis samedi dernier[1] », a déclaré Gérald Darmanin, retournant ainsi la formule d’un « expert » chéri des médias mainstream, Gilles Kepel, lequel s’est multiplié ces derniers jours sur les chaînes d’infos[2]. Une atmosphère de connerie épaisse, oui ! Pour preuve, le déluge d’invectives qui s’est abattu sur le parti de La France insoumise faute de s’être aligné sur la seule position qui vaille : la défense de l’Occident et de son poste avancé, Israël, soumis aux assauts barbares (dixit Olaf Scholz, le chancelier allemand) d’animaux humains (selon Israël Katz, ministre israélien de l’énergie[3]). La dernière à accabler LFI n’a pas été madame Borne qui a dénoncé les « ambiguïtés révoltantes » de ce parti dont l’antisionisme, selon elle, est « parfois aussi une façon de masquer une forme d’antisémitisme ». « Parfois aussi », « une façon de », « une forme d’ » : qu’avec circonlocutions ces choses-là sont dites ! Quoi qu’il en soit[4], nous avons précisément affaire ici à ce qui a motivé la composition du recueil de textes dont nous traitons aujourd’hui.
On sait assez que la dernière sortie de la Première ministre fait suite à un certain nombre de prises de positions du président de la République, puis de la représentation nationale, qui assimilent l’antisionisme à l’antisémitisme. « Certes, reconnaissent les auteures de ce recueil dans leur Avant-propos, il existe une tradition antisémite qui utilise l’antisionisme pour alimenter sa haine des Juifs et amalgame Juif et sioniste. Ce faisant, elle joue d’ailleurs la même partition qu’Israël et devient ainsi un allié objectif de la position sioniste. […] Pourtant, refuser le nationalisme juif et le régime politique colonial qui s’établit en Palestine, défendre le droit au retour des réfugiés palestiniens, appeler à l’égalité entre Juifs israéliens et Arabes palestiniens et à la fin du suprémacisme juif en Israël-Palestine, n’a absolument rien à voir avec l’antisémitisme et ne saurait justifier l’opprobre du racisme antijuif. » Mais les auteures relèvent que l’énoncé : antisionisme = antisémitisme « constitue un véritable déni d’histoire, une forme de révisionnisme qui veut effacer – comme a tenté de le faire le sionisme lui-même depuis son avènement – toute trace de la longue tradition juive, religieuse ou séculière, d’opposition à l’idée d’État-nation juif[5]. »
Les auteures, toutes trois membres de l’UJFP (Union française des Juifs pour la paix) ont cherché à restituer, à travers ce recueil, cette « longue tradition ». Elles ont donc rassemblé des textes d’auteur·e·s juifs et juives exclusivement – tout ou parties d’articles, conférences, extraits de livres, résolutions de congrès… – de la période des débuts du sionisme jusqu’à aujourd’hui, qu’elles présentent en cinq grandes parties. Voici comment elles justifient cette organisation du volume :
« De nos jours, le sionisme se perçoit et est perçu comme une qualité intrinsèque à la judéité et inséparable de la définition du judaïsme. Ainsi, ses partisans et adeptes opposent aux critiques antisionistes une rhétorique invariable articulée autour d’arguments répétitifs que l’on peut regrouper en cinq grandes thématiques.
« 1. Sionisme et judaïsme : les sionistes se présentent comme porteurs de la seule voix/voie juive authentique et légitime ; ils considèrent Israël comme le représentant du judaïsme et le centre de toute vie juive. Ils vont jusqu’à nier le caractère juif des antisionistes juifs accusés d’être dans “la haine de soi”.
« 2. Sionisme et question nationale : le sionisme prétend résoudre le “problème juif” par la “normalisation du peuple juif” à travers la création de son État-nation. En réfutant le caractère ethno-national du judaïsme, les antisionistes refusent la normalisation du peuple juif et donc son droit à l’autodétermination comme tout autre groupe national.
« 3. Sionisme et antisémitisme : le sionisme se présente comme la seule réponse à l’antisémitisme, et Israël comme le seul garant de la sécurité des Juifs à travers le monde. Il considère que la supposée “haine de soi” des antisionistes juifs les conduit à soutenir l’antisémitisme.
« 4. Sionisme, impérialisme, colonialisme : le sionisme, en se considérant comme le fruit d’un mouvement d’émancipation et de libération nationale, accuse les antisionistes de délégitimer Israël en utilisant l’anathème de colonialisme et d’alliance avec l’impérialisme. Ainsi, ceux-ci feraient preuve d’un anti-américanisme et d’un anti-occidentalisme primaires.
« 5. Sionisme… et après ? : le sionisme juge qu’en soutenant le droit au retour des réfugiés palestiniens et la nécessité de dé-sioniser Israël à travers les propositions d’un État commun de la mer au Jourdain (État binational, ou État laïque de tous ses citoyens), les antisionistes œuvrent à la destruction de l’État d’Israël. »
Je ne proposerai ici que quelques « extraits des extraits », afin de donner une idée de la richesse du recueil (qui compte un peu plus de 350 pages). Les auteures elles-mêmes disent qu’elles ont « été surprises par la richesse et la diversité des matériaux et des prises de position juives antisionistes depuis plus d’un siècle », et que « l’ampleur des documents existants [les] a contraintes à une sélection ».
Voici pour commencer une citation extraite de l’introduction générale du livre – pour donner le ton :
« En Allemagne l’Union pour le judaïsme libéral, opposée au sionisme, fonde en octobre 1912 l’Association du Reich pour la lutte contre le sionisme, qui prendra le nom de Comité antisioniste en décembre 1912. Ce comité dispose d’une publication, Schriften zur Aufklärung über den Zionismus (Cahiers antisionistes), et dénonce l’aspect “racial” de la théorie sioniste :
“Dès ses débuts, le concept de Peuple du mouvement sioniste était complètement et exclusivement rempli de l’idée de la race. Cette idée tout à fait superstitieuse, produit d’un dogmatisme arrogant et de l’égoïsme le plus trouble, qui considère la vie humaine comme prédéterminée par le sang, et que ni la volonté ni l’adaptation au cours des siècles ne peuvent rien contre les prétendues dispositions innées de la race, qui ne voit de salut que dans le maintien d’une race pure, cette théorie absurde contredite par l’histoire et la pratique humaine dut effectivement être conservée assez longtemps pour entraîner une pure exclusion des Juifs de tous les autres peuples. Et c’est en cela, dans ce fantasme de la force bienfaisante de la pureté absolue de la race, que repose jusqu’aujourd’hui la très dangereuse similitude de la doctrine sioniste avec celle des antisémites.” »
On comprendra peut-être mieux la virulence de cette attaque contre le sionisme en lisant ces quelques mots de son fondateur, Theodor Herzl, qui datent de 1896 : « Pour l’Europe, nous formerions là-bas [en Palestine] un élément du mur contre l’Asie ainsi que l’avant-poste de la civilisation contre la barbarie[6]. Comme État neutre, nous aurions des relations avec toute l’Europe, qui garantirait notre existence. »
En introduction de la partie 1 sur les relations entre sionisme et judaïsme, les auteures rappellent que les fondateurs du sionisme politique étaient « athées et laïques ». Or, paradoxalement, ils s’appuyèrent sur le lien religieux des juifs avec la terre d’Israël pour justifier la création d’un État juif. « Selon la formule de l’historien Amnon Raz-Krakotzkin[7], “Dieu n’existe pas mais il nous a promis cette terre” ».
De cette première partie, j’ai choisi de citer un extrait d’un texte de Marc H. Ellis, universitaire américain, enseignant en histoire et études juives. Ce texte de 1989 a été écrit au moment de la première Intifada. (C’est moi qui souligne.)
« Il n’est pas exagéré de dire que l’Intifada interroge l’avenir du judaïsme avec force et obstination. La tragédie de l’Holocauste est bien documentée et gravée dans notre conscience, de manière indélébile : nous savons qui nous étions, mais savons-nous qui nous sommes devenus ? La théologie juive contemporaine nous aide à affronter notre souffrance ; elle a peu à dire sur un aujourd’hui où nous sommes en situation de force. Cette théologie, tendue entre Holocauste et émancipation, met en mots éloquents les victimes de Treblinka et Auschwitz, mais ignore Sabra et Chatila. Elle paie tribut au soulèvement du ghetto de Varsovie, mais n’accorde aucune place à l’Intifada de ceux qu’a ghettoïsés le pouvoir israélien. Des théologiens juifs sont attachés à ce que la torture et le meurtre d’enfants juifs soient rappelés et pleurés dans le rituel et la spiritualité juives. Il reste à prendre en compte la possibilité que des Juifs aient, à leur tour, torturé et tué des enfants palestiniens. La théologie de l’Holocauste relate grandeurs et souffrances de l’histoire du peuple juif, mais elle manque à admettre l’histoire contemporaine du peuple palestinien comme partie intégrante de la nôtre. Cette théologie rend compte de qui nous étions, mais elle ne nous aide aucunement à comprendre qui nous sommes devenus. […]
« Des années après la libération des camps, Elie Wiesel a écrit : “Si la haine était une solution, les rescapés auraient dû incendier le monde à leur sortie des camps.” Compte tenu des capacités nucléaires d’Israël et de son sentiment d’isolement et de colère, puisse l’option de la destruction qu’évoque Wiesel rester une chimère et ne pas devenir un projet. Est-ce abusif de dire qu’une théologie qui ne prend pas en compte la différence radicale entre le ghetto de Varsovie et Tel Aviv, entre Hitler et Arafat, est une théologie qui revient à légitimer ce contre quoi Wiesel mettait en garde ? [8]»
Voici ensuite une citation tirée de la partie 2 (sionisme et question nationale). Il s’agit d’un extrait du texte « Le sionisme du point de vue de ses victimes juives : les Juifs orientaux en Israël », lui-même extrait du livre éponyme d’Hella Habiba Shohat[9], qui est professeure au département d’études culturelles de l’université de la ville de New York.
« Pour les mizrahim [Juifs orientaux], le sionisme européen a été à bien des titres une vaste supercherie, un gigantesque massacre culturel, une entreprise qui a partiellement réussi à éradiquer en une ou deux générations une civilisation enracinée depuis plusieurs millénaires en Orient et unifiée dans sa diversité. Précisons tout de suite qu’il n’est en rien dans mon propos de poser un nouvel antagonisme entre ashkénazes [Juifs d’Europe centrale et orientale] et mizrahim. Malgré leurs différences culturelles et religieuses, les deux communautés ont vécu côte à côte, de façon relativement pacifique dans de nombreux pays et dans diverses situations. Il n’y a qu’en Israël qu’elles ont établi des rapports de cohabitation fondés sur la dépendance et l’oppression. […]
« Le régime israélien actuel a hérité de l’Europe une forte aversion pour le respect du droit à l’autodétermination des peuples non européens ; d’où son discours décalé et dépassé, d’où aussi ses références ataviques aux “nations civilisées” et au “monde civilisé”. »
En introduction de la troisième partie (sionisme et antisémitisme), les auteures rappellent que les premiers sionistes eurent souvent de mots très durs contre les Juifs : « Max Nordau (1849-1923), cofondateur de l’Organisation sioniste mondiale avec Theodor Herzl, dans son livre Der Zionismus und seine Gegner (Le Sionisme et ses adversaires), désigne [l]es Juifs diasporiques par des expressions méprisantes : “assimilateurs”, “apostats”, “renégats”
ou “traîtres”. Herzl va jusqu’à utiliser les termes antisémites les plus odieux pour les caractériser : “Or voici qu’apparut le sionisme – Juif et Youpin furent obligés de prendre position. Et maintenant, pour la première fois, le Youpin a rendu au Juif un service d’une grandeur inespérée. Le Youpin se détache de la communauté, le Youpin est – antisioniste !” » Ce que confirme, à sa façon, le grand publiciste et écrivain Karl Kraus, dans un texte (« Une couronne pour Sion », 1898) où il dit avoir été sollicité par un collecteur de fonds sioniste, au profit de « ce qu’on appelle la cause sioniste ou, pour employer un mot plus traditionnel, antisémite ». Voici maintenant un extrait d’un article d’Henryk Erlich qui, né en Russie en 1882, élu au soviet de Petrograd en 1917, s’établit à Varsovie en 1918 et y devint l’un des principaux dirigeants du Bund, organisation ouvrière juive révolutionnaire qui prônait l’autonomie culturelle des Juifs dans les différents pays d’Europe centrale et orientale. « Il combat[tit] farouchement le sionisme, écrivent les auteures, qu’il dénon[çait] encore le 5 mai 1933, au milieu de l’“orgie nationaliste” dont l’accession de Hitler au pouvoir annon[çait] le déchaînement, comme un nationalisme au même titre que les autres. »
« Le sionisme s’est transformé, au fil des ans, en un allié ouvert de notreennemi juré : l’antisémitisme. Le sionisme a, de fait, toujours puisé sa substance dans les exactions contre la population juive et dans la réaction dans son ensemble. Au cours des quarante ans d’existence du sionisme, la règle suivante a toujours été en vigueur : plus il fait sombre dans le monde, plus la demeure du sionisme est lumineuse ; plus les choses vont mal pour les Juifs, mieux elles se portent pour le sionisme. Que peut être, dans le meilleur des cas, la Palestine juive ? Le micro-État d’une minuscule tribu hébraïque au sein du peuple juif. Lorsque les sionistes s’adressent aux non-Juifs, ils sont de fervents démocrates et représentent les relations sociales de la Palestine, actuelle et future, comme un parangon de liberté et de progrès. Mais si un État juif était créé en Palestine, son climat mental serait la peur éternelle d’un ennemi extérieur (les Arabes), un combat perpétuel pour chaque centimètre carré de terrain, pour chaque miette de travail contre un ennemi intérieur (les Arabes) et une lutte sans répit pour éradiquer la langue et la culture des Juifs de Palestine non hébraïsés. Est-ce là un climat où cultiver la liberté, la démocratie et le progrès ? N’est-ce pas plutôt le climat où fleurissent d’ordinaire la réaction et le chauvinisme ? »
L’introduction de la quatrième partie (sionisme, impérialisme et colonialisme) cite entre autres Ernst Bloch[10] : « La classe dominante anglaise voulait s’assurer l’accès des Indes par la voie terrestre ; or la Palestine était bien située. […] L’Angleterre n’était pas la seule à s’intéresser à la Palestine, Guillaume II et l’impérialisme allemand se sentaient eux aussi sionistes […]. Ainsi, le sionisme, pièce bienvenue sur l’échiquier de la politique impérialiste, était confié de bien des côtés à ce que Herzl avait appelé “la convention des peuples civilisés. »
Voici un extrait de texte[11] de l’un de ceux que l’on a appelés en Israël les « nouveaux historiens ». Ilan Pappé a quitté Israël en 2007 et s’est établi en Grande-Bretagne, où il dirige le Centre européen d’études sur la Palestine à l’université d’Exeter.
« Le choix que fit Herzl, et que ses successeurs endossèrent, fut celui du colonialisme. […] Dans le colonialisme, l’indigène est là transitoirement puis plus du tout. Vous ne trouverez pas dans Altneuland[12] le moindre souci de ce qu’il adviendra de la population autochtone de Palestine. Dans les cas plus classiques de colonialisme, l’invisibilité de l’indigène signifiait que, bien qu’il soit toujours là, il n’y était plus qu’un être humain exploité et marginalisé ne bénéficiant que de peu, voire d’aucun, des droits fondamentaux. Dans l’utopie de Herzl, l’indigène, hormis pour une infime minorité, s’en est allé. Il est invisible parce qu’il n’est plus là ; on l’a fait disparaître comme par enchantement, ainsi que le préconisait Herzl dans son journal. Plus précisément, il écrivait que les Arabes de Palestine devaient être expulsés sans que cela ne se voie, avec “discrétion et circonspection” (en public, il était suffisamment avisé pour affirmer son désir de promouvoir les intérêts de la “population autochtone”). Le colonialisme fusionné avec le nationalisme romantique, cela aboutit à l’élimination de la population indigène non seulement dans une utopie futuriste mais dans une politique concrète de nettoyage ethnique sur le terrain, comme ce fut le cas en 1948. »
Pour terminer, dans la cinquième partie (Le sionisme …et après ?) j’ai choisi un texte qui n’est pas très joyeux – mais il n’y a guère de quoi l’être en ce moment. Ariella Aisha Azoulay de père juif d’Algérie et de mère juive de Palestine, prof d’université aux États-Unis) et Adi Ophir (également prof aux Etats-Unis, et qui a été incarcéré pour avoir refusé le service militaire en Israël) l’ont écrit en hébreu en 1997, à l’occasion du centenaire du premier congrès sioniste mondial en 1897. Avant de vous laisser là avec cette dernière citation, je répète que je n’ai donné ici qu’un aperçu du contenu très riche ce livre. À mon avis, cela vaut la peine de le lire (il est d’ailleurs facile d’accès) pour apprendre des choses (ç’a été mon cas) et se débarrasser des idées trop simples, à la fois sur le sionisme et sur ses opposants.
« Nous sommes les restes maudits de l’Europe. Nous sommes les Juifs que l’Europe n’a pas réussi à éliminer. Nous sommes le lieu où le cauchemar nazi est toujours vivant, porté dans l’esprit des survivants, de ceux qui ont été élevés dans leur ombre, et dans l’esprit de tous ceux dont le cerveau a été lavé par l’infinie logorrhée qui a sanctifié la Shoah et mis Auschwitz à la place vide de Dieu. […]
« Nous sommes la dernière ligne de front du colonialisme militaire que l’Europe a abandonné dans la honte depuis des générations. Nous sommes une épine laissée par l’Europe au bord de l’Orient ; et les États-Unis ont ensuite transformé son acceptation en examen d’entrée au club des États éclairés du nouvel ordre mondial. […]
« Nous sommes le site d’expérimentation d’un principe universel unique auquel l’Europe n’a pas su mettre de limites – l’universalité du mal : chaque individu peut être amené à prendre part à cette terrible combinaison de xénophobie, oppression, humiliation, discrimination raciale, camps d’enfermement, et nettoyage ethnique des quartiers et des villes. Chaque personne risque d’être complice d’un régime maléfique qui produit et propage le mal ; cela peut arriver à chaque peuple, à chaque individu de chaque nation, y compris à ceux qui en ont été victimes. […]
« Nous sommes la preuve vivante du succès du nazisme – il y a encore des juifs en Europe mais il n’y a plus de judaïsme –, parce que le “vrai” judaïsme – c’est ainsi que nous le déclarons – est uniquement celui qui a été créé chez nous ou celui que nous avons validé. […]
« Nous sommes un écran où se projette – un peu en retard mais de façon accélérée par rapport à l’Europe et sans avoir rien appris de son expérience – le récit du déclin de l’État-providence démocratique vers le crime de l’exploitation de la main-d’œuvre étrangère, vers ces lieux où le capitalisme de l’État-nation s’approche de l’obscénité de l’esclavage. […]
« L’expression “souveraineté juive” signifie de nos jours un nationalisme juif violent dont les pratiques discursives, politiques et militaires nourrissent le noyau absolu de la logique de la souveraineté. La souveraineté juive écrase tout sujet ou citoyen israélien qui demande une souveraineté non juive, et tout Juif qui demande un judaïsme non souverainiste. […] La puissance militaire juive est devenue l’image de la souveraineté même et a pris sa place. […]
« Au lieu d’être une violation terrible et temporaire de la vie civile normale, l’état de guerre est devenu le cadre permanent et continu de l’existence civile “entre les guerres”, c’est-à-dire celles qui sont officiellement déclarées : la lutte quotidienne contre le terrorisme, le service militaire obligatoire étape obligée – entre le lycée et l’université, le service militaire annuel des réservistes, les postes ouverts pour la distribution des masques à gaz, les expertises de l’armée de l’arrière, les annonces à Job[13] faites par les officiers de l’arrière aux familles –, le tout comme une évidence de la routine quotidienne. »
Ce 15 octobre 2023, franz himmelbauer pour Antiopées.
[1] Soit le 7 octobre, jour de « l’attaque déclenchée [depuis le territoire de la dite « Bande de Gaza »] par le commandement militaire conjoint de la plupart des organisations palestiniennes, sous la direction des Brigades Ezzedine Al-Qassam (bras armé du Hamas) » (voir à ce propos Alain Gresh, « Gaza-Palestine. Le droit de résister à l’oppression », Orient XXI, 9 octobre 2023).
[2] « Notre grand spécialiste de l’islam et du monde arabe contemporain », selon le site de L’Express, qui l’a interviewé cette semaine, avait publié en 2021 un livre intitulé Le Prophète et la Pandémie. Du Moyen-Orient au jihadisme d’atmosphère. On a les « spécialistes » qu’on mérite.
[3] « Pendant des années, nous avons fourni à Gaza de l’électricité, de l’eau et du carburant. Au lieu de dire merci, ils ont envoyé des milliers d’animaux humains massacrer, assassiner, violer et kidnapper des bébés, des femmes et des personnes âgées », a-t-il déclaré. Katz a juste oublié le blocus imposé depuis 2007 par Israël, qui a transformé ce territoire à la densité de population parmi les plus élevées du monde en camp de concentration à ciel ouvert, sans parler des opérations successives de l’armée israélienne (aux noms évocateurs : « Plomb durci », « Bordure protectrice », « Pluies d’été », etc.) qui ont tué des milliers de personnes, essentiellement des civils, vieillards, femmes et enfants compris. Mais il est vrai qu’ils l’ont fait, pour la plupart, de façon civilisée, depuis des avions, des drones, avec des chars, des canons à longue portée, etc. Ils ont causé – et ils continuent à causer – infiniment plus de morts que leurs ennemis barbares, mais ces morts sont propres, discrets, invisibles. Ils n’ont pas de sang sur les mains, ou si peu. Ils sont civilisés, vous dis-je.
[4] Je pense qu’il s’agit surtout de minables calculs (pré)électoraux. « Minables » car ils ne s’affichent pas comme tels – et on pourrait probablement en dire autant des déclarations d’un François Ruffin, prenant ses distances au bon moment, du moins l’a-t-il estimé ainsi, afin de se ménager soit une voie vers la succession du vieux leader de LFI, soit une porte de sortie vers… vers quoi, au fait ? (Breaking news : le pari communiste annonce son intention de refaire une nouvelle alliance à gauche. Pour les mêmes raisons que Borne, Ruffin & co, semble-t-il. Il est loin le temps où c’étaient les cocos les croquemitaines…)
[5] À ce propos, il faut rappeler que les extrémistes sionistes actuellement au pouvoir en Israël ont finalement réussi en 2018 à faire passer leur projet d’État-nation juif, sous forme d’une loi votée au Parlement et définie comme une des lois fondamentales du pays (sachant que celui-ci n’a pas de constitution). En voici les principes fondamentaux (traduction en français donnée par Wikipédia à partir de la traduction officielle en anglais approuvée par le parlement israélien) : « Israël est la patrie historique du peuple juif, dans laquelle l’État d’Israël a été établi ; l’État d’Israël est le foyer national du peuple juif dans lequel il satisfait son droit naturel, culturel, religieux et historique à l’autodétermination ; le droit à exercer l’autodétermination nationale dans l’État d’Israël est propre au peuple juif. » Par ailleurs, il est précisé que « l’État sera ouvert à l’immigration juive et au rassemblement des exilés » et que « L’État voit le développement de l’implantation juive comme une valeur nationale, [qu’il] encouragera et promouvra son développement et sa consolidation ». Pas question du retour des réfugiés palestiniens chassés depuis 1948. Quant aux « implantations », il s’agit d’un euphémisme pour « colonies ». Il faut savoir qu’elles squattent déjà 45% du territoire de la Cisjordanie, qui devait théoriquement être dévolu aux Palestiniens selon les accords internationaux (Oslo, etc.), lesquels n’ont en vérité jamais été respectés et encore moins appliqués par Israël.
[6] Où l’on voit qu’Olaf Scholz, lorsqu’il parle de « barbares », a de qui tenir.
[7] Voir son excellent livre paru à La Fabrique en 2007, Exil et Souveraineté. Judaïsme, sionisme et pensée binationale.
[8] Il me semble que cette dernière phrase sonne particulièrement juste après ce à quoi nous venons d’assister Gaza et alentour.
[9] Paru à La Fabrique en 2006. De la même auteure, on peut aussi lire ces textes choisis et présentés par Joëlle Marelli et Tal Dor, Colonialité et Ruptures. Écrits sur les figures juives arabes, éd. Lux, 2021.
[10] Le philosophe marxiste Ernst Bloch, auteur du Principe Espérance et de L’Esprit de l’utopie, a aussi écrit Thomas Münzer, théologien de la révolution, dont j’ai rendu compte ici-même. La citation est issue de Ernst Bloch, Le Principe Espérance, t. 2, Les Épures d’un monde meilleur, Paris, Gallimard, 1982, p. 194.
[11] Out of the Frame. The Struggle for Academic Freedom in Israel, Londres, Pluto Press, 2010.
[12] Terre ancienne, terre nouvelle, roman utopique de Theodor Herzl.
[13] NdT : référence aux catastrophes annoncées à Job. Les officiers de l’arrière sont chargés d’informer les familles des décès et blessures de leurs enfants militaires.